Une éducatrice spécialisée dans un commissariat... Pour qui ?
- Laura Boissinot
- 2 avr. 2023
- 6 min de lecture

Bienvenue dans cet article qui a pour but de présenter les publics que j'accueille en tant qu'intervenante sociale en commissariat. Hier, j'ai pu vous décrire mes missions au sein de celui ci.
Je reçois un public très varié. Leurs problématiques sont nombreuses et diversifiées, très souvent complexes et imbriquées les unes avec les autres. Dans cet article, je vais décrire les différents profils que je rencontre au quotidien, ainsi que les enjeux spécifiques auxquels ils sont confrontés.
1. Les problématiques familiales
En tant que l'ISC, je suis régulièrement confrontée aux problèmes familiaux et aux dysfonctionnements qui y sont liés. Souvent, les différends sont d'ordre civil, tels que des conflits autour de la garde des enfants lors de séparations. Dans ces situations, je propose un espace d'écoute et d'échange pour aider les parents à trouver une solution adaptée à leur situation.
Les mains courantes sont souvent utilisées pour signaler des conflits conjugaux, ce qui me permet de contacter les personnes concernées et de les aider à réfléchir à leur situation. En dehors de toute violence, je peux également proposer aux couples de consulter un.e conseiller.e conjugal.e ou bien d'envisager une séparation s'ils ne parviennent pas à résoudre leurs différends. Cette intervention basée sur l’écoute permet une complémentarité avec celle du rappel des lois en vigueur. Il est essentiel d'intervenir au plus tôt des conflits afin d'éviter la dégradation du lien conjugal pouvant aboutir au recours à la violence, comme seul mode possible de communication.
En outre, j'aide les parents qui se sentent désemparés lorsque leur enfant mineur est emmené au commissariat pour une infraction ou un délit. Ces parents ont besoin d'être soutenus et conseillés dans l'éducation de leurs enfants. Les conflits intergénérationnels sont également fréquents et peuvent causer des difficultés de communication au sein de la famille.
Par exemple, une femme se présente à l’accueil car son fils a été placé en garde à vue. Madame est effondrée. Je lui propose un temps d’échange dans mon bureau, ce qu’elle accepte. Elle m'explique qu’elle ne sait plus quoi faire depuis 3 mois, que son fils a changé mais qu’elle n’en connait pas la raison. Ses résultats scolaires chutent alors qu’il a toujours été "bon élève". J'apprend que le père du jeune homme est décédé il y a environ 2 ans et 3 mois. La mère, surprise, explique qu’elle n’avait pas fait le lien avec la date de décès de son mari. Je propose un temps d’échange avec la mère et le jeune homme dans un second temps. Le rendez vous aura lieu une semaine plus tard. Je rencontre tout d’abord la mère et le jeune homme. Durant l’entretien celui-ci demandera à me parler seul à seul. Il m'explique qu’il a l’impression que sa mère a oublié son père. Suite à ces différents échanges, une orientation auprès d’une thérapeute familiale afin d’instaurer de nouveau un dialogue dans la famille, d’une psychologue afin d’effectuer un travail sur le deuil ainsi qu’auprès des services de l’Aide Sociale à l’Enfance concernant la prévention de la délinquance est proposée à cette famille.
2. Les situations de violence
Les situations de violence sont malheureusement très fréquentes dans les entretiens que je mène. Elles représentent la majorité de mes interventions. Les violences prennent différentes formes telles que les violences conjugales, les violences intrafamiliales et faites aux enfants, les violences dans le voisinage, au travail, le harcèlement, la prostitution, etc.
Il est important d’écouter la victime devant la violence quotidienne qui s’exerce sur elle : pressions familiales, rythme de vie des enfants, dépendance économique, poids culturel, violences verbales… J'essaie d'accompagner les victimes à réfléchir à un « plan d’actions » à mettre en place pour sortir de ces violences. Il convient de pouvoir prendre un temps avec la personne pour prioriser les actions à entreprendre à la suite des événements.
C’est la victime qui définit elle-même son plan d’actions, je ne suis là qu’en soutien. Cela prend du temps, demande qu’une relation de confiance soit établie entre nous et demande de nombreuses orientations et réajustements.
Dans des situations qui peuvent être variées – violences conjugales, maltraitance sur enfants, agressions sexuelles sur mineurs intra ou extrafamiliale... – je peux être amenée à saisir les services compétents pour les informer d’une situation de danger avérée ou suspectée.
Focus sur l’accompagnement des personnes victimes de violence conjugale :
L’orientation des personnes victimes de violence conjugale est complexe et nécessite, la majorité du temps, plusieurs rendez-vous. Il est en effet nécessaire :
De s’adapter à la temporalité propre à chaque victime,
D’accompagner la victime à faire ses propres choix, à réfléchir et à identifier ses besoins, ses envies, ses limites,
De travailler sur la déconstruction de l’emprise et des peurs liées à la séparation, au dépôt de plainte,
D’évaluer le danger grave et immédiat (pour une mise en sécurité potentielle),
De contacter les différents partenaires évoluant autour d’elle et de la famille,
D’évaluer et d’identifier les multiples problématiques auxquelles doit faire face la victime et sa famille
D’orienter vers des services extérieurs mais également d’assurer un suivi suite de cette orientation (cela a-t-il répondu aux demandes de la victime ? Il y a t-il des actions à entreprendre suite à cela ? La victime doit-elle être accompagnée dans ces nouvelles démarches ? Par qui et comment ? ...)
De nombreux axes sont travaillées avec la personne victime :
▪ Sortir de l’isolement, de la précarité
▪ Reconnaissance du statut de victime
▪ Accès au soin physique et psychologique
▪ Travail autour de l’indépendance financière
▪ Accès à la culture, à l’alphabétisation
▪ Accompagnement autour de la régularisation de la situation
▪ Favoriser l’accès aux droits, au logement, à l’hébergement
▪ Accompagnement à la plainte ou à la main courante
▪ Suivi de la procédure pénale ou civile
▪ Accompagnement des enfants, de la parentalité
Par exemple, lorsque j'accompagne une femme victime de violence conjugale suite à une plainte, il n’est pas rare que les orientations se fassent en plusieurs étapes. Tout d’abord, il s’agit de traiter « l’urgence » de la situation, notamment concernant l’éviction ou non du conjoint violent. Il est nécessaire de faire le lien avec les juristes pour la demande d’ordonnance de protection par exemple afin d’obtenir l’obligation pour Monsieur de quitter le domicile, ou bien la recherche d’une solution temporaire d’hébergement pour la victime. Il faut également faire le lien avec les services sociaux pour proposer un accompagnement dans la recherche de logement et la mise à jour de ses prestations familiales si nécessaire. Suite à cela, le lien avec les services de la santé sont effectués afin de permettre une prise en charge du traumatisme de la personne victime et, le cas échéant, de ses enfants. Puis l’accompagnement ou le maintien dans l’emploi, l’ouverture sur une vie sociale et culturelle est encouragée. Les situations étant multiples, l’accompagnement étant co-construit avec la personne, il n’y a aucune « situation type » ni « protocole de prise en charge type » qui peuvent en découler.
3. Les difficultés sociales
La mission de proximité des policier.e.s avec la population permet de repérer plus facilement les personnes qualifiées de "vulnérables". Cela permet de les accompagner ou de les orienter vers les services les plus compétents pour les protéger. Mon rôle est d’articuler la sphère policière et la sphère sociale afin de les accompagner au mieux.
Par exemple, il arrive que des personnes âgées se retrouvent au commissariat dans le cadre d’escroquerie. Certaines peuvent demander à me rencontrer. Parmi ces personnes, beaucoup souffrent d’isolement et investissent cet espace de parole. L’important ici est de proposer une orientation centrée sur ce besoin de vie sociale, notamment en accompagnant ces personnes vers des centres ou associations pour séniors. Ainsi, le lien se fait entre les deux institutions sans laisser la personne « livrée » à elle-même. Selon les situations de vulnérabilité, le lien avec les services sociaux est également à mettre en place, afin d’évaluer la mise en danger de ces personnes.
Les personnes viennent parfois au commissariat car c’est un des seuls lieux ouvert sans interruption et sans rendez-vous. Ils y expriment leur détresse face à des situations qu’ils ne comprennent ou ne maitrisent pas toujours. Certaines situations ne peuvent faire l’objet de traitement judiciaire. L’ISC permet d’apporter une autre réponse à ces difficultés.
Certaines personnes se présentent en commissariat parce qu’elles sont à la recherche d'une solution urgente d’hébergement. Dans ces cas, mon intervention doit se situer dans la prise en charge de l'urgence : l'orientation vers une solution d'hébergement, rendue possible par le travail en partenariat avec les services sociaux locaux ou départementaux (115, services sociaux, municipalité…). Cette action dans l’urgence ne doit pas se supplanter à la nécessaire évaluation de la situation des personnes afin de leur proposer un accompagnement adapté à leurs difficultés.
4. Le travail avec les mis.es en cause
Une spécificité des postes d’ISC tient à la prise en charge des mis.es en cause qui ont fait l'objet d'une procédure judiciaire. En effet, lorsqu'un.e officier.e de police détecte que le ou la mis.e en cause présente une problématique d'ordre social, il peut me demander d'intervenir afin d'aider et d'orienter la personne vers les structures adaptées à sa demande.
Certain.e.s mis.es en cause reconnaissent les actes commis et avancent comme motif du passage à l'acte la consommation de substances (alcool ou toxiques), d'autres un état psychopathologique. Je dois alors évaluer la reconnaissance par le sujet de l'état pathologique ou d'addiction, et travailler avec l'intéressé.e sur l’accès aux soins. Ensuite, il conviendra de proposer des structures de soins adaptées au trouble décrit par la personne.
En conclusion, je reçois une diversité de publics : des victimes de violences, des personnes en situation de grande précarité, des personnes âgées isolées ou encore des mineurs en danger. Cette diversité de publics nécessite une approche individualisée et adaptée à chaque situation, avec des méthodes de travail en partenariat avec les acteurs sociaux et judiciaires du territoire. Grâce au travail de proximité, ce poste permet d'apporter des solutions concrètes aux personnes rencontrant des difficultés dans leur vie quotidienne et contribue ainsi à améliorer la sécurité et le bien-être des habitants.
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